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Un enfant « aussi précieux que le lait maternel » |
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é en 1921 à Ziguinchor en Casamance, Kémokho Kandara Bamody Cissokho dit « Soundioulou » Cissokho était le fils du virtuose korafoláUn korafolà est un joueur de kora en Mandinka (qui fait parler la kora) - korafolàlù, au pluriel., Kimintang Cissokho dit « Bah Djaly », célèbre jéli du roi Abdou N'DiayeAbdou Ndiaye était un commerçant musulman, marchand de biens mais se spécialisant vite particulièrement dans la traite d'esclaves, installé initiallement à Bougouli en Moyenne Casamance... Lire la suite., et de Caroline Da Silva, descendante d'un roi et d'une princesse de Guinée-Bissau.
À la fin de l'école primaire, il fut initié à la kora sous la férule de son oncle paternel Cirifo Kouyaté et se distingua aussitôt par sa maîtrise de « Kuruntu KelefaLittéralement, « Kuruntu Kelefa » signifie « Kelefa tiré sur son char ». En effet, l'histoire raconte que les chevaux de Kelefa Saneh, auquel ce chant est dédié, étaient dressés pour avancer au trot cadencé sur le rythme de ce chant... Lire la suite. » (Kelefa SanéCe chant a pour toile de fond la légendaire rivalité entre les ethnies mandingue et peuhle, rivalité qui fut exacerbée à la fin du XIXe siècle et aboutit à de sanglantes guerres... Lire la suite.). Son oncle et un ami de son oncle lui prédirent un immense succès ; « Ba Dialy (...) a raconté à son frère Djely Mady ce qu'avait prédit un de ses amis : “Dieu a donné à ton fils quelque chose de plus qu'aux autres, il doit apprendre la kora, ce sera un grand Dialy et un grand artiste, tout le monde connaîtra son nom, il sera un roi, un mansaké parmi les Dialy.”»
À 17 ans, il s'illustre avec le chant panégyrique des Cissokho, DjandiumbaLa légende veut que Janjon ait été le (sur)nom d'un sorcier-chaman aux pouvoirs surnaturels particuliers aux tout premiers temps du Manding... Lire la suite.. Dès 1948, il tourne en Afrique et en Europe avec le ballet panafricain du Guinéen Keïta Fodéba et devient l'idole de tous qui reprennent affectueusement le surnom donné par ses parents, « Soundioulou », diminutif de « Soundioudji » c'est-à-dire « le lait maternel » ; « en effet, pour ses parents qui avaient perdu beaucoup d'enfants en bas âge, Soundioulou était aussi précieux que le lait pour l'enfant ».
source : Soundioulou Cissokho, « le roi de la kora» de José Lapeyrère
Sa dextérité, ses subtiles variations rythmiques et mélodiques à la kora, ses créations innovantes et ses interprétations de certains airs du répertoire traditionnel comme « KairaCe chant populaire date du XXe siècle. Le nom de « Kaira » même signifie « bonheur » et fut employé comme nom propre. Il a longtemps été associé au Mali au nom de Sidiki Diabaté, célèbre korafola...Lire la suite. » et « SimbongSimbo est un des chants les plus célèbres de la tradition classique du Mandé. On connaît cet air aussi sous le titre de L' Hymne à l'Arc.À l'origine, le simbo est le sifflet du chasseur. Par métonymie, il a fini par désigner le chasseur lui-même, puis le Chasseur par excellence, Soundjata... Lire la suite. » lui valent une signature chez La Voix de Son Maître. Ce label enregistrera dans les années 1950 plusieurs 78 tours diffusés sur Radio Sénégal et Radio Saint-Louis.
Sitôt marié avec Rokhaya Fall dite « Ina », il s'installe en Guinée Bissau et tourne dans tout le pays mandingue (Bissau, Katiour-Katiao, Bissora, Tiour, Mansua et Kantiongou). Soundioulou Cissokho épouse ensuite comme seconde femme la fille d'un noble éleveur de bétail, Hawa Kaloussaye, qui décédera le 5 octobre 1994, quelques mois après la disparition de son mari. Sa troisième femme, Maïmouna Galissa Kouyaté, une grande jèlímusow« jèlí », pluriel « jèlílu », féminin « jèlímusow » est le mot malinké qui désigne le griot... Lire la suite. connaissant parfaitement le répertoire mandingue, l'accompagnera au chant jusqu'à sa mort.
En 1962, Soundioulou Cissokho intègre le Théâtre du Palais dirigé par Maurice Sonar Senghor, le fondateur en 1948 à Paris d'un ballet de percussions et danses d'Afrique - les deux créateurs se sont connus dans les années 1950. Soundioulou sera membre fondateur de l'Ensemble lyrique traditionnel lorsque cette salle deviendra en 1965 le théâtre National Daniel Sorano de Dakar. En ces années post indépendance, il est souvent invité au Palais présidentiel par Léopold Sédar Senghor pour animer en solo avec sa kora les cérémonies officielles : banquets, visites de chefs d'Etat...
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Le couple royal de la musique traditionnelle |
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Après sa prestation remarquée au Festival Mondial des Arts Nègres de Dakar en 1966, il est fait Chevalier de I'Ordre du Mérite sénégalais par L. S. Senghor. En 1967, Soundioulou Cissokho quitte le théâtre Daniel Sorano. Invité à l'inauguration du Palais du Peuple à Conakry, il est couronné « roi de la kora » par Sékou Touré. Dans la capitale guinéenne, il entend parler d'une jeune fille de 18 ans à la voix d'or, Maa Hawa Kouyaté , qui deviendra son épouse.
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Le couple royal de la musique traditionnelle africaine à Paris
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Le duo (dont la complicité est telle que les prénoms « Soundioulou et Mawa » sont inscrits sur la calebasse de la kora) fait le bonheur des mélomanes avec des titres comme « Bandian« Bandian » est un chant éponyme, en forme d'hommage à la personnalité importante dans les années 40 en Guinée qu'était Bandian Sidibé. Bandian Sidibé (Sidimé) était un sculpteur émérite d'ivoire, commerçant prospère, et ami des jeunes et des griots... Lire la suite. », et un hommage de Maa Hawa Kouyaté à deux dignitaires religieux, les jumeaux Al Hassan et Al Hussein Sylla, parents du producteur lbrahima Sylla, puis « Maïmouna Kouyaté », un hommage à la défunte épouse, mais aussi « KedoCe chant (Kedo) fut composé vers 1865 à la suite de la guerre des Peulhs musulmans («Fula») contre le royaume païen de N'Kaabu... Lire la suite. », « SoryKeme Bourema évoque Fabou Daboloba Touré dit Kemè Bourema, (contraction de «Ibrahima»), le frère cadet de Samory Touré... Lire la suite. », « Emile Badiane » (ex ministre et député-maire de Bignona en Casamance) et surtout « Mariama » (sa création préférée).
Le 8 mai 1994, meurt naturellement dans son domicile Soundioulou Cissokho, l'enfant qui ne devait pas jouer de la kora. Deux jours de deuil sont alors décrétés au Sénégal et en Guinée pour cet instrumentiste virtuose qui a tant contribué à la vulgarisation de la kora dans le monde.
La psychanalyste, poète et écrivaine Josée Lapeyrère, conta la vie de cette figure emblématique de la kora dans « Soundioulou Cissokho - Roi de la kora » (Ed. Allalaké - Dakar, 2000). Un bel hommage. |