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Djaliden - Dessin © LB 2014 à partir d'une photo de Dawda Jobarteh
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Littéralement, « Kuruntu Kelefa » signifie « Kelefa tiré sur son char ». En effet, l'histoire dit que
les chevaux de Kelefa Saneh, auquel ce chant est dédié, étaient dressés pour avancer au trot cadencé sur le rythme de ce chant. Les griots chantaient donc ce chant lors des
déplacements et des triomphes du héros.
« Kuruntu Kelefa » est le panégyrique du valeureux condottiere du N'Gabu du milieu XIX° siècle qui avait nom
Kelefa Saneh et qui devint célèbre par ses exploits et la verve des griots ; si bien que deux des chants qui lui sont dédiés (« KelefabaCe chant a pour toile de fond la légendaire rivalité entre les ethnies mandingue et peuhle, rivalité qui fut exacerbée à la fin du XIXe siècle et aboutit à de sanglantes guerres... Lire la suite. » et « Kuruntun Kelefa ») sont devenus les plus célèbres de la tradition de la kora.
Aujourd'hui encore, dans la
tradition mandingue de la kora, KelefabaCe chant a pour toile de fond la légendaire rivalité entre les ethnies
mandingue et peuhle, rivalité qui fut exacerbée à la fin du XIXe siècle et aboutit à de sanglantes guerres... Lire la suite. et Kuruntun Kelefa constituent l'ABC de la
kora. En effet, sur la base rythmique et musicale de ces 2 chants, de nombreux autres chants ont été créés comme Balankou, Bamba BodianCette chanson
(Bamba Bodian) fut composée à la gloire d'Alhaji Bamba Bodian ou Ledjè, un riche commerçant pieux de la fin du XIX° siècle, roi de Brikama (Gambie) qui fut aussi un généreux mécène (djatigui) pour
les griots de Gambie. Beaucoup de Gambiens le considèrent comme le précurseur de l'état moderne de Gambie... Lire la suite., Fayunkunko, Mori)Mansa Kele, (Nteri) Jato(N)Teri Jato est un chant populaire de Gambie qui célèbre l'amitié et l'hospitalité ... Lire la suite., Namusso, Signaro, SutukunSoutoukoun est un chant consacré à hameau forestier et centré en particulier sur la figure d'un marabout érudit, fort célèbre au début du XIX° siècle, nommé Koumbou Sora
(Sola)... Lire la suite., etc.
En fait, si « Kuruntun Kelefa » constitue le chant panégyrique à la gloire des hauts faits du héros gabunké, KelefabaCe chant a pour toile de fond la légendaire rivalité entre les ethnies mandingue et peuhle, rivalité qui fut exacerbée à la fin du XIXe siècle
et aboutit à de sanglantes guerres... Lire la suite. peut être considéré comme l'éloge funèbre du « Grand [ba] Kelefa ».
Kelefa Sanneh appartenait à la noble famille des ñanchiolu(1) Sanneh(2), et il était le neveu de Mansa
Samka Nanki, le roi de la province de Badora (l'une des confédérations du N'Gabu) siégeant à Brikama. Il était le « prototype du ñanchio, chevalier errant, immortalisé par les griots dans une des
plus belles chansons de geste du Gabou », dit de lui Djibril TAMSIR NIANE, dans Histoire des Mandingues de
l'Ouest. (p.160).
Son père, Tuban Sanneh, était collecteur d'impôts pour le compte de Mansa Samka Nanki et les traditionistes nous informent
qu'il mourut au combat avant la naissance de son fils. Très tôt, Kelefa se destine au métier des armes, sans doute poussé par sa mère (Mariama Nanki), « qui brûlait d'être la mère d'un héros »,
et devient un excellent et intrépide hussard. Dès sa majorité, il multiplia les conquêtes, « s'illustra dans le Ba-Géba, se porta au secours de Diala ali, roi du Wouli, combattit aux côtés de Mankoto
Camara, roi de Niani-Maron. »
C'est sans doute à ce moment que ses griots (dont Koriyang Musa ?) créèrent son panégyrique. Djibril TAMSIR NIANE (ibidi.) situe ces épisodes à partir de 1850.
Mais une rivalité intestine éclate entre Gabunkés et Kelefa se trouve en butte à la jalousie d'un général et roitelet
combattant aussi pour le compte du Mansa, Demba Sonko, un noble koring(3),
roi de Niumi.
Cette rivalité éclata à lors de la campagne du Jokadu, province voisine stratégique pour la défense de celle de Badora et qui avait été attaquée par les avancées des Peuhls.
Alors que Kelefa et Demba devaient joindre leurs armées à la bataille de Baringhiakoto, pour reprendre cette province, Demba qui était le général en chef, ordonna à Kelefa de s'éloigner sous un
faux prétexte ; la bataille allait être perdue quand, Kelafa, averti du désastre imminent, revint à marche forcée et remporta la bataille.
Demba Sonko, apprenant cela, devint fou de jalousie et fit courir la rumeur que Kelefa avait atteint le champ de bataille
alors que la bataille était déjà terminée ; une version (contestée) de la légende veut que ce soit Demba Sonko qui ait mandaté l'albinos qui le tua par traîtrise, soit en le pendant après s'être
caché dans un arbre sous lequel Kéléfa se reposait, soit par « un fusil chargé d'une balle d'or et d'argent », selon les versions.
D'autres versions disent que ce sont les gens du Jokadu qui le firent assassiner en l'empoisonnant.
Dans le chant « Namusso », Kelefa est tué par l'entremise d'une femme (musso) de Jokadu.
Texte et paroles du chant transcrits par
d'après la version de :

Le groupe Toure Kunda a popularisé ce chant en le modernisant sur le rythme sahouraba dans une version "afro-beat" intitulée "Salya" (sur l'album Amadou Tilo,
1982).
Notes : |
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1. ñanchio (ñanchiolu, pluriel ) : princes de la noblesse éligibles au trône (plus proches du roi par filiation matrilinéaire). [retour au texte]. |
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2. Sané et Mané, patronymes de nobles fondateurs du royaume du NGabu ; ces patronymes sont devenus synonymes de nobles du NGabu (et de la Gambie actuelle ; cf. Sanneh)
[retour au texte] |
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3. korin(g) : nobles guerriers (noblesse héréditaire); souvent issus des familles Sonko ou Sagniang, comme dit le chant. Il existait une forte rivalité entre les ñanchio et les korin(g) : « Les koring sont liés aux ninanthio par des liens de vassalité très stricts ; les premiers doivent aux seconds soumission et fidélité, en échange de quoi ils ont droit aux plus hautes
fonctions et à de nombreux privilèges à la cour. » Donc, les ñanchiolu étaient plus haut dans la noblesse (1er et 2ème rang) alors que les korinlu n'étaient situés qu'au 3ème rang ; à ce titre, les
ñanchiolu montaient des chevaux blancs tandis que les korinlu ne montaient que des chevaux noirs. source : NIANE TAMSIR Djibril, Histoire des Mandingues de l'Ouest - Le royaume du Gabou, Karthala-Arsan, Paris, 1990 [retour au texte] |
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4. sa boisson : Kelefa Sanneh était un « thiédo » (païen) et l'histoire dit qu'il était grand buveur ; aussi, quand il avait bu toute sa bière de millet (mingdolo), il décuplait ses forces,
disent les griots, et entrait dans une rage meutrière sans égale. Mais un autre sens est possible si l'on considère la valeur allégorique du vers : en effet, un dicton mandingue dit : "Il a bu son
eau" qui correspond à l'euphémisme en français : Il a mangé son pain ( = Il est mort). Ainsi est annoncée la mort de Kelefah Sané. [retour au texte] |
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