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Fabou (Faboli) Daboloba Touré dit « Kemè » Birama(1)
(ou Bourema, contraction et « adaptation »en Mandenka du prénom islamique « Ibrahim ») était le (demi-) frère cadet de Samory Touré.
Samory Touré (1830~1900), formé depuis sa plus tendre enfance à l'art de la guerre devint, à l'âge adulte, un grand stratège
militaire à la fin du 19° siècle. Farouche partisan d'un Islam fort, il déclara la « Guerre Sainte » à plusieurs peuples mandingues de tradition animiste et les asservit en réussissant à se
tailler un empire à sa (dé)mesure, l'empire du Wassoulou.
Cependant, sa soif de conquête fut freinée par celle des Français pénétrant en Afrique de l'ouest par le fleuve Niger. Ceux-ci
s'allièrent aux autres peuples et en jouant un jeu de trèves et d'alliances rompues avec l' « Almamy » , ils l'acculèrent, non sans mal, à la défaite (en 1898).
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La mission ouassoulienne : Karamoko [fils de Samory] et ses serviteurs d'après une photographie de M. Van Bosch - Col. FREY, Côte occidentale d'Afrique - Jeanniot -
1890 -
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Ainsi, les chefs sénoufos de Sikasso conclurent-ils une alliance avec les Français contre Samory qui voulait les asservir pour
avoir la route libre vers le riche royaume de Kong au Sud, afin de contrôler la route dite «des fusils». Pour les châtier, Samory envoya son frère cadet, Kemè Birama, brillant chef de cavalerie,
faire le siège de Sikasso. Mais Tièba, le roi de Sikasso, avait prévu ce siège et il fit renforcer les défenses de sa cité la transformant en place forte.
C'est donc, entre 1887 et 1888, après 16 mois de siège en vain, que Keme Birama, venu en renfort de l'armée de l'ouest, fut
mortellement blessé et la fine fleur des sofas (chefs de cavalerie) de l'Almamy décimés ; tous durent se résoudre de se replier vers la région du Liberia actuel, où Kemè mourut de ses blessures. Là,
selon les traditionistes et les historiens, les versions varient : selon certains, Keme Birama aurait été grièvement blessé au cours du siège de Sikasso, mais aurait été soigné et ne serait mort que
bien plus tard. L'historien Joseph Ki-Zerbo affirme qu'il est bel et bien mort à Sikasso même : « En juillet [1888] à deux doigts du succès, dans une banale escarmouche, Keme Brèma, le général
émérite, fut tué, tandis qu'un autre frère de Samori, Manigbé Mori, était pris et exécuté par Tièba. » Et il ajoute que le Faama de Sikasso offrit à Archinard « les crânes momifiés et
décorés de Keme Brèma, Manigbé Mori, et Langama Fali ».
Sur ce point, voir aussi la version qu'en donne le griot Diabaté rapportée par Kesteloot Lilyan & Dieng Bassirou, Les épopées d'Afrique noire, Paris, 1997 [bibliographie]
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"Soldat de l'armée deSamory d'après une photographie de M. Van Bosch" - Col. FREY, Côte occidentale d'Afrique - Jeanniot - 1890 - Gallica (Bnf)
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L'air de « Keme Birama » raconte l'épopée de ce « seigneur de guerre », ses exploits, victoires et son héroïsme
à la bataille de Sikasso. Ce chant, conte aussi la rivalité (« fadeñya ») entre Samory et son (trop) brillant cadet, comment elle fut attisée par la favorite de l'Almamy, la fameuse Saran Keyñi
(Saran la Belle) ; cette thèse de la « fadeñya » fut particulièrement répandue à cause de la version célèbre de Sory Kandia Kouyaté, L'épopée du Mandingue
vol.1.
Presque contemporain de l'air « Bani Bani évoque la guerre des Peulhs musulmans
contre le royaume païen de N'Kaabu et plus particulièrement le début de cette guerre déclenchée à la fin du XIX° siècle, la guerre de Manda... Lire la suite.», l'air de « Keme Birama » lui
emprunte plusieurs motifs sonores ; la thématique (le seigneur de guerre intraitable, la résistance acharnée à l'envahisseur) en était assez proche pour inspirer aux griots un air si célèbre que,
dit-on, le cheval de Keme Brèma avait été dressé pour régler son pas dessus.
Vaillant général, Keme Birama fut l'artisan de nombreuses victoires pour le compte son son frère : ainsi, il fut le principal
responsable d'une des plus éclatantes victoires de Samory, la prise de Kankan (après neuf mois de siège) en mars 1881. Cela lui valut ce refrain qui prit une valeur de devise panégyrique :
« Aux grandes noces de Kankan
Aux grandes noces de Gankungnan
Fabou eut trois épouses
Djoro, Mariama Siré et Djuguru Fa... »(2)
De même que dans la Chanson de Roland, l'essentiel des laisses est consacré à l'agonie des héros de l'arrière-garde du
preux Charles, de même le sujet principal et inlassablement repris de l'épopée de Kemè Birama a pour thème central le siège acharné, vain et meurtrier de Sikasso, capitale des rois du Kénédougou, par
Kemè.
L'histoire rapporte aussi que lors de la création de ce chant par les griots, Samory Touré se récria, disant par ironie (et
par jalousie, sans doute) : « Aujourd'hui, les griots ont mis les pattes de derrière avant les pattes de devant ! »
En effet, «Keme Birama est le jeune frère de l'Almamy. Aussi, le griot qui a composé cette chanson devait-il partir du faasa(3) de son aîné qui, dans la lignée des Touré, avait la préséance sur ses cadets. Il devait donc
faire un « mabalma ».
Massa Mankhan Diabaté dans Janjon et autres chants populaires du Mali [ bibliographie]
Une tradition - contestée - attribue à Morifing(nan) Diabaté, célèbre griot attitré du clan des Touré, la création de « Keme
Birama ».
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"Soldat de l'armée de Samory d'après une photographie de M. Van Bosch" - Col. FREY, Côte occidentale d'Afrique - Jeanniot - 1890 - Gallica
(Bnf)
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Notez enfin que ce chant est aussi connu dans une version plus populaire sous le titre « Sory » (Sori), autre surnom
de guerre donné à Samory puis à « Keme Birama ». En effet, « Sory » était, à l'origine, un surnom de « caste » couramment donné dans le monde des chasseurs malinké à un des leurs
particulièrement émérite, car il signifie « le chasseur qui parcourt tôt la brousse » (et par là-même trouve plus de gibier que les autres).
De fait, dans les pays mandingues, le (sur)nom de « Sori » est très souvent attribué à un homme particulièrement brillant dans son domaine. Mais d'aucuns disent aussi que « Sori » était
le prénom du griot qui créa ce chant...
Un des plus célèbres interprètes de « Keme Birama » fut Sory Kandia Kouyaté.
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Notes :
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(1) L'explication la plus commune et populaire, rappelée par Mamadi Kaba dans son Anthologie de chants mandingues, p.105 [bibliographie] veut que le surnom de « Kemè » soit la contraction de « Makemè », le nom de sa mère comme il est d'usage d'attribuer le nom de sa mère à son fils aîné en pays
mandingue : voyez l'exemple de Sogolon Djata pour désigner Soundjata - [voir le chant "Julu Kara NayniJulu Kara Nayni est un chant qui évoque
conjointement Alexandre le Grand et Soundjata... Lire la suite."] [retour au texte]
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(2) Ces vers ont une valeur allégorique : les noces sont des "noces de sang", autrement dit à la bataille de Kankan et à celle de Gankugnan, la 1ère épousée, Djoro,
était en réalité le nom de son cheval préféré ; sa seconde épouse, Mariama [Moridjama] Siré fut réellement son épouse préférée ; enfin sa troisième épouse, "Djuguru Fa" était son sabre dont le nom
signifie "À mort, l'ennemi" [retour au texte]
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(3) Le « faassa », c'est le chant consacré à une famille, le panégyrique d'un héros et de son clan. [retour au texte]
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Autres interprètes célèbres de « Keme Bourema » :
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Balla & ses Baladins,
Objectif Perfection © 1993, réed. Stern's Music PAM/ADC |
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M'Bady Kouyate, Kora et Chant du N'Gabou, vol. 1, 1997 Buda Music |
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El Hadj Sory Kouyate, Anthologie du balafon mandingue vol. 2, © 1998 Buda Musique - 92520 -
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Bembeya Jazz National, Regards sur le passéLe Bembeya Jazz National fut un grand groupe mandingue très célèbre en Guinée
et dans toute l'Afrique de l'Ouest. Légendaire ensemble, le Bembeya Jazz National fut créé sous l'autorité du premier président de la République de Guinée, Sékou Touré et enchanta la jeunesse
guinéene à l'heure des Indépendances... Lire la suite., © 1999 - Syliphone/Sylla - 38206-2 |
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Mande Jeliou, The art and soul of the mande griots © 2004 Syllart |
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